Lutte à la désinformation

Lutte à la désinformation

Comprendre les théories du complot

Le Détecteur de rumeurs vous propose plusieurs ressources pour mieux comprendre le phénomène du complotisme.

Mais d’abord, ce petit quiz!

Vous l’avez compris, toutes ces réponses sont bonnes!

C’est sans doute parce qu’il représente le bouc-émissaire par excellence!

Voici quelques caractéristiques communes à toutes les thèses complotistes qui aideront tout Détecteur de rumeurs à les repérer facilement!

Les théories du complots impliquent toujours un groupe secret de personnes puissantes qui travaillent dans l’ombre pour tromper la population.

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Elles reposent sur des allégations qui ne sont pas étayées par des preuves concrètes (documents, témoignages, résultats d'enquêtes, etc.)

Elles relient entre eux des événements qui n’ont pas de lien.

Elles offrent une lecture des faits contraire à la version officielle.

Et ils traitent les gens qui les critiquent de moutons!

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Contrairement aux vrais complots qui finissent par être mis au jour grâce à des témoignages, des documents rendus publics ou des enquêtes, les théories du complot, elles, restent sans preuves.
Apprendre à les repérer permet d’éviter d’être séduit par ces fabulations empreintes de mystère… et de lutter contre la désinformation, comme le Détecteur de rumeurs!

Santé et théories du complot : Comment décoder les discours

Pandémie : L’espace occupé par complots et fausses croyances

Nos ateliers de formation s’adressent tant aux clientèles scolaires et aux organisations qu’au grand public : étudiants, professionnels, aînés ou retraités!
Qu’est-ce qu’une théorie du complot? Comment la distinguer d’un complot authentique et comment parler avec quelqu’un qui défend une telle théorie?

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Bill Gates et les complots: le vrai du faux

Bill Gates est la personne qui a été visée, et de loin, par le plus grand nombre de théories du complot entourant le coronavirus. Si certaines sont farfelues, d’autres contiennent des éléments de vérité. Le Détecteur de rumeurs est donc parti du principe que c’est en distinguant l’information vérifiée de la rumeur, qu’on peut amorcer un dialogue. Et sachant qu’une image vaut 1000 mots, il vous propose celle-ci, qui pourrait vous servir lors de votre prochaine discussion.

Comment reconnaître une théorie du complot

Parfois farfelues, parfois subtiles, elles contribuent à polluer les réseaux sociaux. Se voulant des réponses simples à des questions complexes, ces théories gagnent en popularité et peuvent engendrer des actes violents, comme la destruction de tours 5G et d’autres tours de télécommunication un peu partout dans le monde.

Voici des indices qui vous aideront à repérer les discours complotistes… et à les ignorer !

1 – Une personne ou un groupe ultra puissant contrôle le monde

Selon les complotistes, un seul coupable se cache derrière plusieurs événements, incidents ou phénomènes fâcheux, «inexplicables». Il peut s’agir d’une personne ou d’une famille riche (Bill Gates, les Clinton ou les Soros, par exemple), d’un groupe religieux (les Juifs portent souvent le blâme) ou d’une société secrète mystérieuse (pensons aux Illuminati ou aux reptiliens).

Bien que simplistes, ces théories fonctionnent car elles répondent à des besoins bien réels, particulièrement en temps de crise. Des psychologues anglais ont identifié trois raisons qui poussent les gens à adhérer aux théories du complot : le désir de compréhension et de certitude, le désir de contrôle et de sécurité, ainsi que le désir de maintenir une image positive de soi-même. La menace de la COVID-19, un virus créé naturellement, qui évolue rapidement et dont on ne connaît toujours pas toutes les facettes, provoque beaucoup d’anxiété. Clamer que Bill Gates en est le responsable de la pandémie permet à certains de gagner un minimum de contrôle sur la situation et de soulager leur anxiété en leur donnant un faux sentiment de sécurité.

2 – Ce groupe oeuvre dans le secret le plus total

On vous parle de centaines, voire de milliers, de «pions» ou de complices qui participent au complot dans le plus grand secret. Qu’il s’agisse des scientifiques, de membres d’un gouvernement, de vedettes hollywoodiennes, de membres d’une communauté religieuse, de journalistes, on s’attend à ce que vous croyiez que toutes ces personnes sont en mesure d’opérer subtilement, dans le plus grand des secrets.

Un biologiste et journaliste américain a même trouvé une formule qui permet de calculer le nombre de personnes qui devraient être impliquées pour qu’une théorie du complot fonctionne réellement. Son exemple le plus clair : pas moins de 400 000 complices auraient été nécessaires pour dissimuler le fait que l’Homme n’a pas marché sur la Lune. Farfelu, n’est-ce pas? Imaginez combien de personnes ça prendrait pour garder un secret… à propos du coronavirus qui touche le monde entier !

3 – Les détails et les coïncidences sont présentés comme des preuves

Si une bonne partie du discours de complotistes repose sur du vent, il est aussi tissé d’événements et d’anecdotes véridiques, mais déformés jusqu’à ce qu’ils correspondent au portrait alarmiste qu’ils se font de la réalité. Des coïncidences, des détails et des anecdotes sont présentés comme des preuves, les détails sont grossis.

Même l’absence de preuves peut devenir une preuve… que le complot est bien dissimulé !

4 – Si vous remettez en doute certains éléments, vous êtes un mouton

La théorie ne peut souffrir d’aucune faille et quiconque la critique risque de se faire accuser de faire partie du complot ou d’être secrètement financé par les groupes au pouvoir. Personne d’autre ne détient la vérité : les complotistes ont réponse à tout et ils ne se trompent jamais. Du moins c’est ce qu’ils prétendent!

Aucun argument contraire n’est accepté. Si vous critiquez, vous êtes naïf, un «mouton», ou vous faites vous-même partie du complot, de l’establishment. Les médias et les scientifiques sont décrits comme des élites secrètement financées par les groupes au pouvoir. On décrédibilise ainsi toutes les publications qui vont à l’encontre de la théorie du complot.

Par contre, vous remarquerez que les complotistes n’hésitent pas à relayer les articles journalistiques et les études scientifiques qui semblent confirmer une partie de leurs théories : c’est une illustration de ce que les psychologues appellent le biais de confirmation.

5 – On vous demande de prouver que la théorie n’existe pas.

Si on conteste la théorie, une stratégie courante des complotistes est de demander de prouver que le complot n’existe pas. Or, prouver la non-existence de quelque chose est une tâche impossible, surtout si on s’adresse à des gens qui sont convaincus que ça existe.

Il s’agit d’un sophisme, un procédé rhétorique fallacieux : le renversement de la charge de la preuve. En science, la charge de la preuve revient à celui ou à celle qui avance une hypothèse. On ne peut pas prétendre que quelque chose est vrai parce que personne n’a pu prouver le contraire, ce raisonnement erroné est souvent utilisé pour déstabiliser un interlocuteur.

Et même si on arrive à démontrer qu’un événement annoncé ne s’est jamais produit, les complotistes peuvent se rabattre sur des dizaines d’autres événements impossibles à réfuter, et changer leur interprétation a posteriori.

De plus, les complotistes défendent leurs théories en utilisant une énorme quantité d’arguments divers pris dans différents domaines de connaissances. (Le sociologue français Gérald Bronner appelle ça le “mille-feuilles” argumentatif). Il faut donc avoir beaucoup de temps et de motivation pour déboulonner l’ensemble de leur théorie.

Complots: qui dit vrai?

Les théories du complot autour de la Covid sont nombreuses et ceux qui y adhèrent n’aiment pas l’étiquette « théories du complot ». Le Détecteur de rumeurs suggère donc un exercice: que ceux qui adhèrent à une des théories présentées ci-dessous démontrent aux adeptes d’une autre théorie, pourquoi la leur est plus valable que les autres. Si une entente se dégage, le Détecteur de rumeurs promet d’examiner les faits.


Cet article fait partie de la rubrique du Détecteur de rumeurscliquez ici pour les autres textes.


 

Ces derniers mois, plusieurs observateurs ont répété combien il est important d’essayer d’entamer un dialogue avec un « complotiste » plutôt que de s’en moquer ou de l’insulter. Le Détecteur de rumeurs a lui aussi déjà écrit là-dessus.

Mais trouver un terrain d’entente peut prendre du temps: par exemple, si une personne refuse le port du masque parce qu’elle croit que la pandémie a été exagérée et que les gouvernements l’ont délibérément exagérée, faut-il commencer par lui parler d’études scientifiques sur le masque? De chiffres de la pandémie? Entamer une discussion sur les décisions des gouvernements ? D’un seul gouvernement? Les décisions d’il y a quelques mois ou celles d’il y a quelques semaines?

« Il sera d’abord utile de déterminer précisément ce que vous visez d’un échange avec une personne qui adhère à une idée que vous jugez aberrante » résumait Normand Baillargeon en juin. Il suggérait que, « plutôt que de présenter sa position et de la défendre, on écoute ce qu’avance l’autre personne »: soit on se retrouve en position de tenter de reformuler certaines de ses affirmations plutôt que de tout attaquer en bloc, soit on est en position d’admettre que, nous aussi, on est sceptique devant telle ou telle mesure gouvernementale. Il s’agit là d’un exemple d’entente, première brique à partir de laquelle on peut construire un dialogue.

Quels seraient les critères objectifs?

L’autre difficulté, qu’illustre la compilation du Détecteur de rumeurs dans cette infographie, c’est que même si on croit à une première théorie, il arrive souvent qu’elle soit contradictoire avec une deuxième. Par conséquent, sur la base de quels critères objectifs devrait-on privilégier une plutôt que l’autre?

En résumé, si vous vous reconnaissez dans une des théories présentées dans cette image, ou si l’un de vos proches la reconnaît :

  • avez-vous des suggestions pour entamer un dialogue avec ceux qui adhèrent à une théorie qui contredit la vôtre ?
  • pouvez-vous dire en quoi l’autre théorie est moins valable que la vôtre, et ces critères permettraient-ils de rallier vos vis-à-vis?
  • avez-vous des critères objectifs qui permettraient au Détecteur de rumeurs de démontrer que votre théorie est la plus solide?
  • pouvez-vous proposer une démarche par laquelle « eux » et « vous » pourriez dégager un consensus?

– Pascal Lapointe et Maxime Bilodeau

 

– Infographie: Steve Proulx

Le petit guide des raccourcis mentaux

Les raccourcis mentaux que nous empruntons pour traiter l’information contribuent grandement à la crise de la désinformation. Les reconnaître fait partie de la solution.

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Par Camille Lopez

Les biais cognitifs, semblables à un coureur qui triche pour finir une course plus vite, font en sorte qu’on partage des articles qu’on n’a pas lus, qu’on donne de la crédibilité à une vedette de la chanson qui s’exprime sur un sujet scientifique, qu’on commente sous le coup de l’émotion ou qu’on minimise les conséquences de la COVID-19…

C’est le psychologue et économiste Daniel Kahneman et ses collègues qui ont démontré, au début des années 1990, notre tendance à prendre des décisions irrationnelles dans le domaine économique. Depuis, une multitude de raccourcis mentaux, appelés biais cognitifs, ont été identifiés par des chercheurs en psychologie cognitive et sociale. Ce concept est d’ailleurs directement lié à la « science des fausses nouvelles ».

Qu’on le veuille ou non, notre cerveau est ainsi fait qu’il recourt continuellement à de tels raccourcis mentaux. Et ce sont ces raccourcis qui nous rendent susceptibles de partager de la désinformation, dès qu’elle touche en nous une corde sensible. Ce petit guide vous aidera à les reconnaître et, ainsi, à les éviter…

Biais de confirmation

Le biais de confirmation nous pousse à favoriser l’information qui confirme nos croyances. Notre cerveau l’utilise comme un filtre pour se simplifier la tâche et trier plus rapidement l’info.

C’est la raison pour laquelle on peut avoir une perception brouillée de la réalité : on ne croit qu’à l’information qui nous convient (et on ignore celle qui ne nous plaît pas), on cherche de l’information qui confirme nos croyances et on s’entoure de gens qui pensent comme nous.

Les réseaux sociaux le reflètent. Les algorithmes qui trient le contenu pour le rendre à notre image renforcent notre biais de confirmation en ne nous montrant que ce que nous voulons voir. Par exemple, un individu qui fait déjà partie de groupes anti-vaccins avant la pandémie sera exposé, pendant la crise, à des informations confirmant ses croyances sur les médias sociaux comme Facebook, YouTube, Instagram, etc.

L’effet de halo

L’effet de halo fait en sorte que nous avons tendance à tirer des conclusions sur une personne sur la base d’une seule de ses caractéristiques ou qualités.

Par exemple, si nous trouvons qu’une personne est belle ou qu’elle a succès, on aura tendance à penser qu’elle est une bonne personne ou à donner plus de poids à son opinion. On l’appelle aussi “effet de notoriété” ou “effet de contamination”.

En période de pandémie, l’effet de halo peut nous inciter à donner de la crédibilité à des informations erronées, juste parce qu’elles sont véhiculées par des célébrités.

L’effet de halo vaut aussi pour les spécialistes qui s’expriment en dehors de leur champ d’expertise. Dans la revue Psychology Today, la psychologue Terri Apter met en garde contre «l’erreur halo» en temps de COVID-19: notre tendance à croire qu’un expert est spécialiste en tout. « Le terme “expert” fait partie de son identité », écrit la psychologue.

Le biais de popularité

Le biais de popularité se manifeste quand on croit une affirmation parce qu’un grand nombre de personnes la considère comme vraie. Bref, quand on croit que la majorité a toujours raison.

C’est ce qui nous incite, par exemple, à nous abonner à un groupe Facebook  dont le sujet nous semble douteux, mais qui compte un nombre important d’abonnés, ce qui, à nos yeux, rend son contenu plus crédible. Même chose pour les informations que nous trouvons louches : si on voit qu’elles ont été partagées ou «aimées» à de nombreuses reprises, on les partagera plus rapidement, sans faire les vérifications nécessaires.

D’ailleurs, à l’ère de la distanciation physique, voir un grand groupe de personnes ignorer les mesures sécuritaires et sanitaires peut aussi nous inciter à faire de même.

Le biais de normalité

Le biais de normalité est un réflexe qui nous pousse à croire que notre vie se déroulera comme elle s’est toujours déroulée, et, ainsi, à ignorer la possibilité qu’une catastrophe ou un événement non prévu vienne tout chambouler. C’est la raison pour laquelle on se dit souvent «ça ne peut pas m’arriver», en pensant aux cancers ou aux accidents de voiture, même si on connaît les statistiques et qu’on sait que ça peut arriver à tout le monde.

C’est ce qui explique en partie la résistance de certaines personnes à adopter rapidement les mesures sanitaires recommandées en période de pandémie. Appelé parfois “panique négative”, il fait en sorte que nous avons tendance à ignorer les signes avant-coureurs d’une catastrophe et à vouloir continuer à vivre “comme d’habitude”, voire à adopter des comportements dangereux.

Le biais émotionnel

Le biais émotionnel est une réaction émotionnelle à une situation ou à une information qui peut perturber la prise de décision. Une personne sera ainsi encline à croire une chose qui procure un sentiment agréable, ou à rejeter des réalités désagréables. Et ce, même s’il existe des preuves rationnelles du contraire.

Certaines émotions ont tendance à court-circuiter davantage notre raisonnement logique, notamment sur les réseaux sociaux. En 2018, des chercheurs du MIT ont analysé 126 000 partages Twitter de nouvelles – vraies ou fausses. Ils ont démontré que les fausses nouvelles qui suscitent des émotions fortes, comme la surprise, la peur ou le dégoût, sont plus susceptibles d’être partagées rapidement et de devenir virales que les vraies nouvelles qui suscitent des émotions plus neutres, comme l’espoir et la tristesse. Sachant qu’un contenu qui suscite des émotions fortes peut mettre notre sens critique en veilleuse, les créateurs d’articles trompeurs s’arrangent pour jouer sur nos émotions afin de nous faire tomber dans le panneau.

CONCLUSION

Tout le monde passe par des raccourcis mentaux. Reconnaître que notre cerveau nous joue des tours et déforme notre perception de l’information est important. Nul besoin de culpabiliser : il s’agit de la première étape pour apprendre à reconnaître la désinformation.

Vaccination : pourquoi des parents hésitent? C’est compliqué.

Une personne sur trois hésite à faire vacciner son enfant au Québec. On a vite fait de se moquer de ces parents et pourtant, plusieurs bénéficient d’un haut niveau d’éducation. Comment en viennent-ils à douter? Voyage au cœur de l’hésitation vaccinale, à ne pas confondre avec le mouvement antivaccin.

Quand on parle des antivaccins, ce sont bien souvent les théories les plus abracadabrantes qui captent l’attention, comme l’allégation que des micropuces seront soi-disant cachées dans un éventuel vaccin contre la COVID-19.

Mais quiconque nourrit des réserves face aux vaccins sera happé par des histoires bien plus terre-à-terre.

Par exemple: un bébé de 6 mois, qui n’avait pas encore reçu son vaccin contre la méningite à pneumocoque, meurt aux soins intensifs de cette sévère infection. La mère n’avait rien contre les vaccins : elle ne connaissait pas la maladie et avait oublié de faire vacciner son enfant.

Un deuxième récit : chaque année, des centaines de nourrissons meurent subitement, sans explication apparente, mais plusieurs parents rapportent que leur bébé venait de recevoir un ou des vaccins dans les 24 heures précédant le décès.

Jouer avec la peur légitime

Susciter le doute grâce à la peur est une stratégie couramment employée par les antivaccins. C’est ainsi qu’ils peuvent mettre de l’avant ce troisième exemple : dans des cas rarissimes, il est arrivé qu’une réaction allergique à un vaccin provoque un décès. Ce fait troublant ne sera mentionné qu’avec extrême prudence par les autorités de la santé, qui mettent plutôt de l’avant —avec raison— le fait que les vaccins empêchent annuellement des millions de décès et de souffrances pouvant laisser des séquelles. La balance bénéfice-risque penche ainsi nettement en faveur de la vaccination. Mais le malaise à aborder les risques sera interprété par les complotistes comme un camouflage de la « vérité ». C’est ici que peut germer chez le parent l’hésitation, la peur d’être le cas exceptionnellement malchanceux.

Or, si elles veulent se mesurer aux antivaccins, les institutions de santé publique ont tout un rattrapage à faire du côté des communications. Comme l’ont révélé des études récentes, les mouvements antivaccins sont plus actifs sur les réseaux sociaux et privilégient des échanges plus personnalisés. Ils ont par conséquent de meilleures chances d’offrir l’affirmation sur mesure qui ébranlera la confiance des personnes hésitantes. Et ils peuvent s’appuyer sur des éléments véridiques pour construire du faux.

Par exemple, dans le cas du second récit mentionné plus haut, le syndrome de la mort inattendue du nourrisson est un phénomène réel, mais dont les causes sont encore inconnues. Le problème est que le moment le plus à risque pour les bébés, soit autour de l’âge de 2 à 4 mois, concorde avec l’âge des premiers vaccins. Pour des parents cherchant un sens à la mort de leur bébé, la coïncidence peut alors sembler suspecte, même s’il a été démontré que les vaccins ne sont pas en cause.

« Si je choisis de faire vacciner mon enfant et qu’il se passe quelque chose, c’est un choix actif qui va me faire sentir coupable », rappelle Eve Dubé, anthropologue et chercheuse à l’Université Laval et à l’Institut national de santé publique du Québec. « Quand la vaccination fonctionne, il ne se passe rien! On n’aura jamais la confirmation que notre enfant a évité une maladie grâce au vaccin », poursuit celle qui a également siégé deux années sur le comité d’experts sur l’hésitation à la vaccination de l’Organisation mondiale de la santé. Elle rappelle que c’est précisément parce que les vaccins sont si efficaces qu’on n’a plus peur de graves maladies, et donc, qu’on oublie leur nécessité.

Une approche respectueuse

Comment s’y prendre, dans ce cas, pour entamer un dialogue avec ces hésitants? En commençant par écouter leur position, répond Arnaud Gagneur, pédiatre et professeur à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Il en sait quelque chose : l’enfant décédé du premier récit était son patient.

C’est en cherchant à éviter que de telles situations ne se reproduisent que le médecin a mis au point ce qui deviendra le Programme EMMIE (pour Entretien motivationnel en maternité pour l’immunisation des enfants), qui consiste à rencontrer les parents dans les heures ou jours suivant l’accouchement, afin d’aborder le sujet des vaccins sans discours préétabli ni leçon de morale. Le principe a d’abord été testé en Estrie il y a quelques années, puis à l’échelle de la province. L’objectif est de couvrir toutes les maternités d’ici 2021.

À noter que même sans cette intervention, sur le tiers des Québécois qui expriment des doutes envers les vaccins, la majorité des parents finissent par accepter de vacciner leur enfant, quoique certains le font avec un retard ou en acceptant seulement certains vaccins. Environ 80% des enfants québécois de deux ans sont à jour dans leur couverture vaccinale.

En plus de guider un certain nombre d’indécis, le Programme EMMIE estime avoir amélioré le respect du calendrier de vaccination chez les parents acceptant le vaccin. De plus, l’hésitation ressentie par les parents qui ont suivi le programme  diminuerait de 30 à 40%, et l’adhésion à la couverture vaccinale complète entre 0 et 2 ans, augmenterait d’environ 9%.

Le secret de cette réussite, selon le Dr Gagneur, se trouverait donc dans l’approche respectueuse, qui fait confiance à la capacité de juger des parents. « Le fait de dissocier la discussion de l’acte de vacciner permet un dialogue plus libre, sans que les parents aient l’impression qu’on les attend avec une seringue cachée derrière le dos. À la limite, le conseiller en vaccination ne saura pas si l’enfant sera vacciné après la rencontre, et les parents ont deux mois pour y réfléchir » avant d’arriver à la première date recommandée de vaccination du calendrier, explique le pédiatre.

Il précise que par le passé, des études avaient démontré que les parents hésitants affirmaient avoir besoin de plus de renseignements pour prendre leur décision, mais que lorsqu’on leur en fournissait, cela n’affectait pas le taux de vaccination.

Le Programme EMMIE suggère plutôt que ce qui importe, c’est la façon de donner ces informations et le moment pour le faire. « Les parents qui hésitent ont vraiment l’impression d’être jugés » quand ils expriment leurs craintes. « C’est essentiel de les traiter avec respect », insiste Arnaud Gagneur.

Variante québécoise

L’obligation vaccinale, comme en France, n’est pas la voie à suivre, selon Eve Dubé : « le mouvement antivaccin devient plus agressif quand on implante la vaccination obligatoire, ce qui n’est pas le cas au Québec. » C’est ce qui expliquerait en partie pourquoi aucun groupe organisé spécifiquement contre les vaccins n’y ait émergé. Eve Dubé note toutefois que certains réseaux, comme des regroupements prônant une santé dite « naturelle » ou « holistique », intègrent des éléments antivaccins dans leur discours.

De tels arguments antivaccins s’immiscent par ailleurs au Québec par l’entremise d’échanges réels et virtuels. « Ça apporte une sorte de biais, parce que si l’information vient d’une personne en qui on a confiance, on ne va pas orienter nos recherches pour démontrer que cette personne a tort », fait remarquer la chercheuse.

Il est possible que le Programme EMMIE contribue positivement aux discussions privées, même si cela ne figure pas dans ses objectifs. « On n’a pas de données pour le prouver, précise Arnaud Gagneur, mais mon impression est que les parents rencontrés seront moins susceptibles, ensuite, de partager de la désinformation. »

L’Agence Science-Presse et Québec Science joignent leurs efforts pour explorer les dessous des théories du complot en santé. Ceci est le premier reportage.

Du 11 septembre aux vaccins : être complotiste, c’est pour la vie?

La COVID-19 a exacerbé les théories du complot. Plusieurs constatent avec stupéfaction qu’un de leurs proches y adhère. Pourquoi? Est-ce irréversible? Que peut-on y faire?

« Ça me paraissait incroyable, tout ce qu’on nous cachait, comment on nous mentait, tout ce qui se passait dans le monde, sans que les médias traditionnels nous en parlent! », se souvient Karen Andrey, résidente suisse qui ne se cache pas d’avoir déjà adhéré à une panoplie de théories du complot.

Comme bien d’autres, elle a d’abord porté attention à ces histoires à la suite de l’attentat du 11 septembre 2001, et une fois la boîte de Pandore ouverte, elle s’est mise à consulter de plus en plus de sources de nouvelles douteuses. « Je n’étais pas tiède, j’étais vraiment une complotiste militante! », souligne-t-elle, en ajoutant qu’elle redirige désormais son activisme vers différents groupes en ligne qui partagent du contenu déconstruisant les théories douteuses, incluant des pages québécoises. « J’aime bien voir ce qui se passe un peu partout dans le monde : ce qui se fait chez moi se fait aussi chez vous. Ce n’est pas forcément de la même façon, mais sur beaucoup de points, on se retrouve. »

Pourquoi plusieurs y adhèrent?

On désigne par « théories du complot » les scénarios qui prétendent expliquer un très grand nombre d’événements historiques ou de phénomènes contemporains par  l’existence d’un seul coupable, un individu ou un groupe, agissant dans l’ombre. Au contraire des véritables complots, ces théories s’appuient sur des coïncidences, des interprétations, des amalgames et des anecdotes, plutôt que des preuves documentaires solides ou des données probantes.

Les théories du complot ont une portée mondiale parce que les raisons qui poussent à y adhérer font fi des frontières : « tout le monde a besoin de savoirs et de vérité, de se sentir en sécurité et autonome, et d’être bien avec soi-même », explique Karen Douglas, professeure en psychologie sociale à l’Université du Kent au Royaume-Uni, et spécialiste des théories du complot. « Quand ces besoins ne sont pas assouvis, les théories du complot peuvent en apparence offrir un certain réconfort. »

Elle rappelle que les théories du complot sont attrayantes sans pour autant être réellement satisfaisantes: et cela peut emprisonner ces adeptes dans un cycle. En effet, puisque les explications, les plus saugrenues tout autant que celles qui semblent plausibles, n’apportent jamais de vraie solution, la frustration face aux besoins inassouvis augmente, exacerbant ainsi la recherche d’autres explications et de plus de soutien de la communauté complotiste.

Ce dérapage est d’autant plus facile en contexte de pandémie, alors que la population craint à la fois pour sa vie et celle de ses proches, mais aussi pour sa sécurité financière, son confort, ses libertés, l’éducation des enfants…

Pour couronner le tout, les connaissances scientifiques sur la COVID-19 évoluent sans cesse et se contredisent parfois. Les certitudes à court terme sont quasi nulles et la confusion ne fait que croître. « De se faire dire qu’il n’y a pas de réponse —parce qu’en ce moment, il n’y a pas de vaccin ni de traitement curatif ou préventif— c’est très insécurisant! », soulève Marie-Ève Carignan, professeure au département de communication de l’Université de Sherbrooke. Elle mène un projet de recherche avec des collaborateurs internationaux, afin d’étudier l’adhésion à certaines fausses nouvelles liées à la COVID-19. Son constat : ce sont les personnes les plus anxieuses face à la situation, par exemple en raison d’une précarité financière, qui sont les plus susceptibles de croire aux théories du complot. Les personnes plus jeunes, moins éduquées et qui consultent plus fréquemment les réseaux sociaux, sont aussi plus à risque d’y adhérer.

Comment les accompagner?

Ce n’est pas un hasard si les experts en théories du complot se concentrent sur les aspects psychosociaux du phénomène : l’adhésion à ces croyances découle toujours d’une pulsion émotionnelle. C’est d’ailleurs ce qui complique le dialogue… et la marche arrière. « C’est comme avec une relation amoureuse : la personne qui croit aux théories du complot vit quelque chose au plan émotionnel et veut protéger ce qu’elle aime. Si on en dit du mal, ça la met sur la défensive », illustre Michael Kropveld, fondateur et directeur général d’Info-Secte.

Dans les derniers mois, cet organisme rapporte d’ailleurs une hausse des demandes d’aide de la part de personnes qui ne savent plus quoi faire, face à un proche qui s’est enlisé dans les théories du complot. Le nombre d’appels à l’aide s’est aussi multiplié au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence.

Que faire? Les intervenants sur le terrain et la communauté scientifique sont unanimes : il ne faut pas confronter la personne avec un contre-argumentaire direct. « Si vous essayez d’avoir une discussion logique, vous tombez dans un piège, parce que ça peut vous mettre dans “le camp ennemi” et renforcer ses croyances », avertit M. Kropveld. Le complotiste pourrait alors soit prendre ses distances, soit s’acharner et redoubler d’ardeur pour tenter de convaincre ses proches, pour les « sauver » ou leur « faire voir la vérité ».

Karen Andrey le confirme, alors qu’elle-même cherche à entretenir un dialogue avec son entourage encore fortement conspirationniste : « je sais que si quelqu’un essaye de me prouver que j’ai tort, je vais me braquer et essayer de lui prouver que c’est lui qui a tort. Forcément, si je fais la même chose avec mes proches, ça ne va pas marcher! »

Une stratégie plus fructueuse consisterait, selon elle, à semer le doute sur la fiabilité des sources, afin d’ouvrir la porte au doute, puis éventuellement à de petites concessions. Il faut toutefois s’armer de patience. « Ça fait mal à l’égo, parce qu’on aime avoir raison. C’est le premier pas qui est le plus dur. Mais il suffit de se rendre compte qu’une première théorie du complot est fausse, puis c’est beaucoup plus facile avec les suivantes », témoigne Mme Andrey.

La professeure Karen Douglas estime également qu’il s’agit d’une bonne approche. « Plusieurs conspirationnistes se voient comme des personnes dotées d’esprit critique. En les amenant à évaluer leurs sources de façon critique, on peut les pousser à réaliser leurs erreurs dans leurs comportements de recherche d’information, ce qui leur permettrait de corriger leurs croyances. »

Autre astuce : personnaliser l’approche en identifiant les besoins particuliers qui poussent cette personne à adhérer aux théories du complot, puis l’inviter à analyser ces aspects de façon critique. Par exemple, une personne qui se méfie du gouvernement aurait peut-être vécu une mauvaise expérience qui teinte sa perception. Il faut donc l’encourager dans ses recherches, mais à la condition qu’elle fasse l’exercice sincère de regarder ce qu’en disent « les deux camps » avant de trancher.

Ainsi, il y a espoir de « déconvertir » les complotistes, c’est-à-dire de leur faire abandonner en tout ou en partie leurs croyances farfelues Par contre, il est aussi possible que cette tentative échoue, rappelle Michael Kropveld. Selon lui, il est donc nécessaire d’envisager la possibilité de l’échec quand on veut aider son proche, afin de réfléchir à ce que l’on compte faire de la relation, si la personne persiste dans ses croyances.

Il suggère toutefois d’y penser à deux fois avant de couper définitivement les ponts avec cette personne, en particulier dans le contexte de la pandémie : « quand ça va se résoudre, peut-être que la personne va revenir [comme elle était avant] ou qu’il y aura une diminution de l’intensité de ses croyances. Ce sera donc important d’être resté en contact, pour que la personne sache qu’elle peut revenir. »

Dire à quelqu’un qu’il a tort l’amène à se braquer? Faux

Argumenter avec un climatosceptique, un antivaccin ou un créationniste est-il contre-productif? C’est ce qu’ont longtemps affirmé les défenseurs de ce qu’on appelle, en psychologie, l’effet rebond (backfire effect). Le Détecteur de rumeurs rétablit les faits.

L’origine de la rumeur

L’idée selon laquelle il ne sert à rien d’essayer de faire changer d’avis une personne qui croit très fort à quelque chose et que, pire encore, cela peut la braquer dans ses positions, circule sans doute depuis des générations dans les familles qui ont eu un oncle ou une tante particulièrement têtu.

Dans une étude sur la communication politique et les fausses perceptions parue en 2010, deux chercheurs américains avaient résumé cette idée sous le nom d’effet rebond, ou effet boomerang (backfire effect), et ils étaient allés encore plus loin. Leur argument n’était pas seulement que de démontrer à quelqu’un qu’il a tort ne suffit pas à le faire changer d’avis. Leur argument était que d’être contredit de cette façon peut le pousser à se rebiffer et à adopter un contre-discours hostile, qui renforce encore plus ses croyances erronées.

Les chercheurs avaient soumis des articles de nouvelles sciemment manipulés à des citoyens américains. Ces textes contenaient de fausses affirmations faites par des politiciens clairement identifiés à un des partis politiques. Par la suite, les scientifiques avaient fourni aux participants un article qui rectifiait les faits, comme le font les rubriques de vérification de faits telles que le Détecteur de rumeurs.

La correction n’avait pas eu l’effet attendu auprès des participants qui partageaient la ligne idéologique du politicien: ils avaient rarement modifié leurs opinions, même si on venait de leur apprendre qu’elles étaient inexactes; mais pire encore, plusieurs de ces participants s’étaient braqués et retranchés sur leurs positions. « L’effet rebond » était né.

Ces résultats ont été confirmés par ces mêmes auteurs dans les années suivantes, notamment dans une étude portant sur la vaccination. Et ils allaient devenir une partie importante de la réflexion sur la lutte à la désinformation, avec l’élection de Donald Trump en 2016. Aujourd’hui encore, l’effet rebond est invoqué pour expliquer la polarisation des débats.

Les faits

Le problème est que l’idée a plusieurs fois été battue en brèche par des études plus récentes. Il semble plutôt que l’exposition à des messages de vérification des faits amène l’individu moyen à ajuster ses croyances. Sans abandonner tout son édifice idéologique —l’appui à un candidat, par exemple— le citoyen en question s’avère très capable d’admettre que telle ou telle affirmation est fausse.  L’effet rebond, à supposer qu’il existe vraiment, serait donc minime et se manifesterait rarement, ont écrit deux chercheurs américains en 2017: « à travers toutes nos expériences, nous n’avons trouvé aucune correction capable de déclencher un effet rebond, en dépit d’avoir testé précisément le type de sujet polarisé où on s’attendrait à un effet rebond ».

Dans une large étude menée par l’Université d’État de l’Ohio, les chercheurs ont soumis 10 000 participants à des dizaines de sujets confrontant leurs convictions. Résultat : ils n’ont eux non plus observé aucun effet boomerang. Ils soulignent même que, de manière générale, les citoyens tiennent compte des informations factuelles, même lorsque celles-ci remettent en question leurs engagements idéologiques.

D’autres d’études concluent par ailleurs que de prendre la peine de corriger les mauvaises informations détenues par les gens amène ces derniers à être mieux informés, du moins en moyenne. Une des clés pour y parvenir serait de renvoyer l’individu à des sources qu’il considère comme crédibles et de tenir compte de ses croyances préexistantes, afin de ne pas le heurter.

Pas de virage à 180 degrés

Toutefois, le fait d’être mieux informé ou davantage exposé à des croyances plus cohérentes avec la réalité, ne garantit pas un changement radical des opinions. Au contraire : la psychologie et la lutte aux fausses nouvelles ces dernières années ont révélé à quel point les êtres humains possèdent de nombreux biais et préjugés cognitifs qui, comme s’il s’agissait de barrières psychiques, peuvent nuire à l’assimilation de nouvelles informations factuelles, ou même bloquer celles-ci, préservant ainsi les croyances de départ.

Un citoyen peut, par exemple, rechercher de préférence des faits qui confirment ses convictions profondes. De la même façon, il peut attribuer moins d’importance aux faits qui contredisent ses convictions. C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation. Il peut aussi inconsciemment adapter son traitement des informations aux objectifs qu’il poursuit, une tendance qu’on désigne comme du raisonnement motivé.

Ça ne le rend pas nécessairement hostile aux informations contraires: c’est plutôt que celles-ci percent ses barrières personnelles plus difficilement. Autrement dit, la persuasion, sans causer un effet rebond, demeure un exercice notoirement difficile.

Santé et théories du complot: comment décoder les discours

Pour convaincre les autres du bien-fondé de leurs arguments, les conspirationnistes utilisent différents mécanismes. Mieux les comprendre pourrait aider à s’en protéger.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les conspirationnistes, le gouvernement et la santé publique ont un point en commun : ils veulent nous convaincre qu’ils ont raison et que leur raisonnement s’appuie sur la logique. Alors que le sentiment de confusion croît devant la multiplication des mesures sanitaires et que le discours conspirationniste gagne en visibilité, nous avons cru bon de nous tourner vers des spécialistes pour nous aider à décrypter les discours en santé.

Selon Alexandre Motulsky-Falardeau, auteur de La rhétorique aujourd’hui, conférencier et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke, il existe trois façons de persuader : le contenu du discours à proprement parler (appelé le logos), la crédibilité de la personne qui parle ou des sources d’information qu’elle utilise (l’ethos), ou encore le caractère de l’auditoire, incluant son état émotionnel (le pathos).

« Les conspirationnistes et le gouvernement se servent tous un peu des trois, à divers degrés et à divers moments, selon le goût du jour. Par moments, le Dr Horacio Arruda joue sur l’émotion et utilise la gestuelle, alors il met du pathos dans son discours. Les conspirationnistes font souvent des appels à la raison, le logos, et ça peut être un peu pernicieux », donne en exemple M. Motulsky-Falardeau.

 

Le logos, ou le contenu du discours

Souvent définie comme l’art de persuader, la rhétorique tire son origine du besoin de se défendre lors de conflits judiciaires en Grèce antique, poursuit Alexandre Motulsky-Falardeau. Tout comme le langage scientifique, la rhétorique utilise donc une structure logique ayant pour but d’aboutir à une conclusion. Elle le fait toutefois à partir de postulats (principes de départ dans un raisonnement) qui ne peuvent pas être validés scientifiquement.

Pour mieux comprendre, comparons deux affirmations:

  • « Les personnes âgées risquent plus de mourir de la COVID-19. » Il s’agit d’une observation fondée sur des études.
  • « Il faut se confiner pour protéger nos aînés. » Cela relève du discours rhétorique : il s’agit d’un jugement, tout comme l’affirmation « il faut avant tout protéger nos droits et libertés ».

Autre jugement : l’idée voulant que le confinement total serait une mauvaise stratégie parce que cela induirait plus de torts que de bienfaits. Cependant, soulever que le confinement a eu des effets sur la santé mentale est une situation observable et documentée.

Il faut par conséquent garder en tête que, même si un raisonnement découle d’une observation objective, il peut conduire vers une idée qui n’est pas une vérité absolue.

Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une affirmation prend l’allure d’un raisonnement logique qu’elle se tient pour autant. On parle alors de sophismes (si l’affirmation est volontairement trompeuse), ou de paralogismes (si l’erreur est commise de bonne foi).

Parmi ces erreurs logiques courantes figure la généralisation hâtive : on tire une conclusion sur un ensemble à partir d’un échantillon qui n’est pas forcément représentatif. Par exemple, on comprend vite que l’affirmation « je ne connais personne qui a la COVID-19, alors personne n’en est atteint » induit en erreur, dès qu’on remplace la COVID-19 par n’importe quelle autre maladie.

 

L’ethos, ou la crédibilité des sources

Les conspirationnistes se présentent comme des lanceurs d’alerte ou des personnes « éveillées » en lutte contre la « version officielle ». Or, s’il est vrai que certaines conspirations ont fini par être dévoilées au grand jour dans le passé, il est aussi vrai que des messages trompeurs ont déjà été délibérément propagés.

C’est ce qu’ont démontré les historiens des sciences Naomi Oreskes et Erik M. Conway dans le livre Les Marchands de doute publié en 2010. Cette enquête expose comment des soi-disant experts indépendants – en réalité liés à des lobbies – sont parvenus à manipuler l’opinion publique sur différents produits, comme le tabac ou le pétrole. Leur arme par excellence : entretenir le doute, puisque cela entraîne la stagnation des débats.

Il se trouve que la stratégie de remise en doute compulsive a pu être observée dans le cas de la COVID-19, notamment en ce qui concerne le nombre de morts ou la gravité de la maladie.

Il faut également faire attention : il se peut qu’une personne avance des faits qui sont en partie vérifiables, mais cela ne garantit en rien sa crédibilité, souligne Janie Brisson, spécialiste des processus cognitifs dans le contexte du raisonnement logique et chercheuse postdoctorale au Laboratoire de psychologie du développement de l’Université Paris Descartes. « Si les raisonnements trompeurs étaient du mensonge pur, ils seraient beaucoup plus faciles à déconstruire! », fait-elle remarquer.

Selon elle, les discours conspirationnistes sont facilement identifiables par deux caractéristiques récurrentes : d’abord, la source se présente en victime; ensuite, elle avance des éléments non falsifiables. Cela lui donne alors une position d’immunité dans un raisonnement circulaire : si on l’attaque, c’est la preuve qu’on veut la faire taire, donc c’est la preuve que ce qu’elle dit est vrai.

Ensuite, « les conspirationnistes partent avec la prémisse que quelque chose ne va pas, qu’il y a des personnes malintentionnées derrière les problèmes. Cette attitude fait en sorte qu’ils conserveront toujours une attitude méfiante, peu importe les informations qui leur sont données par la suite, même si ces données sont solides et prouvées. Ils ne révisent pas leur position ; ils cherchent seulement comment discréditer la nouvelle information », poursuit Janie Brisson.

 

Le pathos, ou l’état de l’auditoire

Il est possible de persuader un auditoire en exploitant ses émotions, ses croyances et ses préconceptions. Voilà ce que font les individus qui invitent leur entourage à se fier à leur intuition, un appel déjà présent dans les discours conspirationnistes sur la COVID-19. Cette approche ne manque pas de faire sourciller Janie Brisson : « les biais cognitifs sont exacerbés quand on se fie à l’intuition! »

Toutes les intuitions ne sont pas mauvaises, enchaîne-t-elle, car les processus cognitifs dits « heuristiques » (dont fait partie l’intuition) permettent de prendre des décisions rapidement, un avantage conservé par l’évolution. Le problème est que si le cerveau doit agir à toute vitesse devant une situation dangereuse (un parent qui verrait son enfant s’approcher d’une rivière), il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de valider des informations sur l’importance des mesures sanitaires, par exemple. L’intuition n’est plus de mise: il faut réfléchir et soupeser les arguments, un processus qui exige plus de temps et de ressources mentales, mais qui fournit un jugement plus éclairé.

Se priver de ce recul occasionne des aberrations logiques chez les conspirationnistes, comme le fait d’être persuadé que certaines personnes célèbres décédées ont à la fois été assassinées et sont encore secrètement en vie, sans que cela n’éveille leur méfiance face à ces thèses.

Et gare à ceux qui se sentent à l’abri de ces pièges : si plusieurs croient que le jugement du grand public peut être orienté, ils estiment également qu’eux-mêmes sont imperméables à ces influences ; ce sont les autres qui sont biaisés. D’où l’importance de pratiquer un scepticisme sain, c’est-à-dire accepter que personne n’est infaillible, y compris soi-même, et qu’il est possible d’être berné par ses émotions, par ses biais cognitifs, ou encore par son intuition.

Se méfier de soi-même protège non seulement sa propre personne, mais également son entourage, rappelle Mme Brisson, puisque les réseaux sociaux demeurent la meilleure façon de propager les théories du complot. « Les personnes qui partagent des fausses informations sont souvent bien intentionnées, elles croient rendre service à leurs proches… Mais ce qui est publié par un proche en qui on a confiance, ça peut mettre l’esprit critique en veille et faciliter le relais de la désinformation », explique la chercheuse.  L’enfer est pavé de bonnes intentions, comme le veut l’adage.

Pandémie: l'espace occupé par complots et fausses croyances

« C’est rien qu’une grosse grippe »… « Faites vos propres recherches… » Tout le monde a pu s’en rendre compte, à travers les réseaux sociaux, les remises en question de la crise sanitaire ont été nombreuses. Mais pas toujours de simples remises en question: des accusations de complots, nationaux ou mondiaux, de mensonges et de dissimulations. On en parle cette semaine avec deux expertes.

Un sondage de l’Institut national de santé publique du Québec, mené au printemps auprès de 1000 Québécois et paru en août, soutient que près d’une personne sur quatre (23 %) croyait que le coronavirus avait été créé en laboratoire. Le tiers était d’avis que le gouvernement leur cachait quelque chose.

Une autre étude, réalisée en juin, allait dans un autre sens en assurant que près de 90% des Canadiens font tout de même confiance aux experts en santé publique, davantage que les Belges ou les Américains.

Il est vrai que les croyances en des complots ont toujours existé. Et il est également vrai que la science a souvent donné des raisons de douter de ses bonnes intentions. Mais s’il est sain de questionner et de douter, de critiquer, on peut se demander jusqu’à quel point la crise sanitaire n’agit pas comme un révélateur de toutes sortes de fausses croyances.

Un phénomène qui rappelle, encore une fois, l’importance du dialogue entre les scientifiques et le public.

Isabelle Burgun en parle avec:

Que peut-on faire ? Comment renouer le dialogue avec les personnes qui doutent et élaborent des théories du complot ? Jusqu’à quel point les médias doivent-ils en parler ? Quelles sont les croyances les plus partagées par les personnes interrogées?

Doit-on s’inquiéter de la possibilité que l’attrait pour ces fausses croyances nuise ultimement à la santé publique en détournant une plus grande partie de la population de traitements légitimes? À l’inverse, faut-il relativiser le poids réel de ceux qui s’opposent par exemple au port du masque?

Ça reste une faible proportion de la population… On a parfois tendance à croire qu’ils sont plus nombreux, à cause des manifestations anti-masques, ou parce que sur Facebook, sur les réseaux sociaux, ils sont très présents, très bruyants. -Marie-Ève Carignan

C’est certain qu’il y a une méconnaissance de la façon dont fonctionne la science, qui nous amène à croire qu’il faudrait davantage inculquer, dès l’école secondaire, des cours qui vont permettre de comprendre comment fonctionne la recherche scientifique, mais aussi la recherche médiatique et c’est quoi, le rôle des journalistes. -Ève Dubé

Les médias d’information demeurent à mon sens une source vraiment essentielle d’information pour contrebalancer un certain niveau de désinformation. Comment va-t-on refinancer les médias? -Marie-Ève Carignan

Les chiens!

Si vous avez choisi cette nouvelle, c’est probablement parce que vous préférez les chiens aux chats.

Comme cette manchette vous conforte dans votre idée que les chiens sont plus intelligents que les chats, vous l’avez préférée à l’autre et il est probable que vous n’aurez pas pris le temps de vérifier si elle est sérieuse ou non avant de la croire ou de la partager.

C’est sur ça que misent ceux qui produisent des fausses nouvelles pour qu’elles deviennent virales!